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Bernard de Montréal; Carlos Castaneda; Cours en Miracles; Eric Baret, Darpan... Auteurs divers...

LA VOIE ROYALE, André MALRAUX, extraits.

Publié le 27 Janvier 2020 in Auteurs divers

 

 

 

PREMIÈRE PARTIE

 

 

I

 

 

(p8)

 

  « – Ils se transforment, les souvenirs… L’imagination, quelle chose extraordinaire ! En soi-même, étrangère à soi-même… L’imagination… Elle compense toujours...” »

 

 

 

 

II

 

 

(p27)

 

  « Nous partons dans une heure… Au fait, que veut dire arriver, pour vous ?

 

  – Agir au lieu de rêver. Et pour vous ?” »

 

 

(p31)

 

  « Une réponse, au lieu de ce silence !

 

  “A quoi songez-vous ?

 

  – La boussole peut donner une indication générale ; vous comptez ensuite sur les indications des indigènes ?

 

  – De ceux dont les villages sont peu éloignés de l’ancienne Voie, oui. »

 

 

(p32)

 

  « – Je suis chargé de mission.

 

  L’étonnement empêcha Perken de répondre aussitôt.

 

  – Je comprends de mieux en mieux…

 

  – Oh ! mission gratuite ! Nos ministères n’en sont pas avares. »

 

 

(p34)

 

  « Perken avait abandonné la carte ; il regardait l’ampoule ; Claude se demandait s’il réfléchissait, car ce regard perdu était presque d’un rêveur. Que connaissez-vous de cet homme ? pensait-il une fois de plus, frappé par ce visage d’absent en relief dur sur le lavabo. (…)

 

  – Alors ?

 

  Perken, repoussant la carte, s’assit sur la couchette.

 

  – Laissons les objections. Ce projet se défend, toutes réflexions faites – il est vrai que je ne réfléchissais pas, je rêvais au moment où j’aurais l’argent… – Je ne prétends pas réussir les choses qui doivent réussir d’elles-mêmes ; (...) »

 

 

(p35)

 

  « – Ne répondez que s’il vous plaît de répondre…

 

  Le regard devint plus précis.

 

  “ … Pourquoi allez-vous tenter cela ?

 

  – Je pourrais vous répondre : parce que je n’ai presque plus d’argent, ce qui est vrai.

 

  – Il y a d’autres manières d’en gagner. Et pourquoi en voulez-vous ? De toute évidence, ce n’est pas pour en jouir.

 

  – (Et vous ? pensa Claude.) Être pauvre empêche de choisir ses ennemis, répondit-il. Je me méfie de la petite monnaie de la révolte…

 

(…)

 

  – On ne fait jamais rien de sa vie.

 

  – Mais elle fait quelque chose de nous.

 

  – Pas toujours… Qu’attendez-vous de la vôtre ?

 

  Claude ne répondit pas tout d’abord. La passé de cet homme s’était si bien transformé en expérience, en pensée à peine suggérée, en regard, que sa biographie en perdait toute importance. Il ne restait entre eux – pour les attacher – que ce que les êtres ont de plus profond.

 

  – Je pense que je sais surtout ce que je n’en attends pas…

 

  – Chaque fois que vous avez dû opter, il se …

 

  – Ce n’est pas moi qui opte : c’est ce qui résiste.

 

  – Mais à quoi ?

 

  Il s’était assez souvent posé lui-même cette question pour qu’il pût répondre aussitôt :

 

  – A la conscience de la mort.

 

  – La vraie mort, c’est la déchéance. »

 

 

(p37)

 

« (…) Que faire du cadavre des idées qui dominaient la conduite des hommes lorsqu’ils croyaient leur existence utile à quelque salut, que faire des paroles de ceux qui veulent soumettre leur vie à un modèle, ces autres cadavres ? L’absence de finalité donnée à la vie était devenue une condition de l’action. A d’autres de confondre l’abandon au hasard et cette harcelante préméditation de l’inconnu. Arracher ses propres images au monde stagnant qui les possède… (…).

 

(…) Mais accepter vivant la vanité de son existence, comme un cancer, vivre avec cette tiédeur de mort dans la main… (D’où montait, sinon d’elle, cette exigence des choses éternelles, si lourdement imprégnée de son odeur de chair?) Qu’était ce besoin d’inconnu, cette destruction provisoire des rapports de prisonnier à maître, que ceux qui ne la connaissent pas nomment aventure, sinon sa défense contre elle ? Défense d’aveugle, qui voulait la conquérir pour en faire un enjeu…

 

  Posséder plus que lui-même, échapper à la vie de poussière des hommes qu’il voyait chaque jour... »

 

 

(p39)

 

  « Il regagna sa cabine. Son dessein, tant qu’il l’avait supporté seul, l’avait retranché du monde, lié à un univers incommunicable comme celui de l’aveugle ou du fou, un univers où la forêt et les monuments s’animaient peu à peu lorsque son attention se relâchait, hostiles comme de grands animaux… La présence de Perken avait tout ramené à l’humain ; mais il sombrait de nouveau, lucide et tendu, dans son intoxication d’obsédé. (...) »

 

(p40)

 

« SE libérer de cette vie livrée à l’espoir et aux songes, échapper à ce paquebot passif ! »

 

 

 

 

III

 

 

 

(p42)

 

  « – J’en viens donc à dire que la valeur essentielle accordée à l’artiste nous masque l’un des pôles de la vie de l’œuvre d’art : l’état de la civilisation qui la considère. On dirait qu’en art le temps n’existe pas. Ce qui m’intéresse, comprenez-vous, c’est la décomposition, la transformation de ces œuvres, leur vie la plus profonde, qui est faite de la mort des hommes. Toute œuvre d’art, en somme, tend à devenir mythe. »

 

(…)

 

  « – Les musées sont pour moi des lieux où les œuvres du passé, devenues mythes, dorment, – vivent d’une vie historique – en attendant que les artistes les rappellent à une existence réelle. Et si elles me touchent directement, c’est parce que l’artiste a ce pouvoir de résurrection… En profondeur, toute civilisation est impénétrable pour une autre. (...) »

 

 

(p43)

 

  « – Au fond, dit enfin le directeur, vous n’avez pas confiance, voilà la vérité, vous n’avez pas confiance… Oh ! garder sa confiance n’est pas toujours facile, je le sais bien… (…) (…) Que voulez-vous ? Lorsque la science nous montre que nous nous sommes trompés, il faut recommencer...” »

 

 

(p44)

 

  « Venons à nos projets, Monsieur. Vous avez l’intention, si je ne m’abuse, de suivre la piste qui marque le parcours de l’ancienne route royale khmère…

 

(…)

 

  “ Je dois vous dire tout d’abord que cette piste, cette piste même – je ne parle pas de la route – est invisible sur des espaces considérables. (…)

 

  – Je la retrouverai, répondit Claude en souriant.

 

  – Je dois l’espérer… Il est de mon devoir – et de ma fonction – de vous mettre en garde contre les dangers que vous rencontrerez. (...) »

 

 

 

 

 

IV

 

 

 

(p51)

 

  « – Dites.

 

  – Vous, ce que vous voulez faire, c’est pas une petite balade comme celle des autres. (...)

 

  – Je n’aurais rien ?

 

  – Oh ! c’est pas ce que je veux dire. Vous avez une mission, vous avez une mission ; personne n’y peut rien. On vous donnera ce qu’on doit vous donner. De ce côté-là, soyez tranquille. Les instructions sont les instructions. (...) »

 

 

(p52)

 

  « – Ah… Oui. Je commence peut-être à comprendre. Mais je voudrais savoir tout de même…

 

  – En savoir plus ? Ben dites-vous que c’est un désir qui ne sera point satisfait. Maintenant, soyons pratiques : voulez-vous réfléchir ?

 

  – Non.

 

  – Vous voulez partir quand même ?

 

  – Parfaitement.

 

(…)

 

  – Quoi ?

 

  – J’ai là – attendez, dans l’autre dossier, non ? enfin ça ne fait rien – j’ai quelque part, là, une note (…) dont je dois aussi vous communiquer l’esprit. Entendons-nous bien : moi, ce que je vais vous en dire, c’est parce que j’en suis chargé. Parce que moi, vous savez, j’ai horreur de ces trucs-là. C’t’absurde. (...) »

 

 

(p58)

 

  « Comprenez-moi. Si j’accepte un homme, je l’accepte totalement, je l’accepte comme moi-même. De quel acte, commis par cet homme qui est des miens, puis-je affirmer que je ne l’aurais pas commis ?

 

  Le silence, de nouveau.

 

  – Vous n’avez pas encore été gravement trahi ?

 

  – On ne pense pas sans danger contre la masse des hommes. Vers qui irais-je, sinon vers ceux qui se défendent comme moi ?

 

  – Ou qui attaquent…

 

  – Ou qui attaquent.

 

  – Et peu vous importe le lieu où l’amitié peut vous entraîner ?…

 

  – Craindrai-je l’amour à cause de la vérole ? Je ne dis pas : peu m’importe, je dis : je l’accepte.” »

 

 

(p59)

 

  « Comme une note répétée d’octave en octave, des chants de grenouilles creusaient les ténèbres jusqu’à l’invisible horizon.

 

(…) J’ai tenté sérieusement ce que Mayerena a voulu tenter en se croyant sur la scène de vos théâtres. Être roi est idiot ; ce qui compte, c’est de faire un royaume. Je n’ai pas joué l’imbécile avec un sabre ; à peine me suis-je servi de mon fusil (pourtant, croyez que je tire bien). Mais je suis lié, de façon ou d’autre, à presque tous les chefs des tribus libres (…). »

 

 

(p60)

 

  « – Pourquoi ne le voulez-vous plus ?

 

  – Je veux la paix.

 

  Il disait : la paix comme il eut dit : agir. Bien que sa cigarette fût allumée, il n’avait pas éteint son briquet. Il l’approcha du mur, regarda avec attention les sculptures et la ligne de séparation des pierres. La paix, il semblait qu’il la cherchât là.

 

  “D’un mur pareil, il serait impossible de rien emporter...

 

  Il éteignit enfin la petite flamme. La nuit se replaqua sur le mur, intense, à peine troublée au-dessus d’eux par des lueurs (…). »

 

 

(p61)

 

  « – Ce sont seulement des réflexions qui vous ont séparé de votre projet ?

 

  – (…) Une menace… Comme la première fois que j’ai vu que Sarah vieillissait. La fin de quelque chose, surtout… je me sens vidé de mon espoir, avec une force qui monte en moi, contre moi, – comme la faim.” »

 

 

(p62)

 

  « – Que faire d’autre ?

 

  – Rien. Mais ce jeu me cachait le reste du monde et j’ai parfois singulièrement besoin qu’il me soit caché… Si je l’avais réalisé ce projet… (...) »

 

 

 

 

 

 

DEUXIÈME PARTIE

 

 

I

 

 

(p65)

 

« DEPUIS quatre jours, la forêt. »

 

« (…) Décomposée par les siècles, la Voie ne montrait sa présence que par ces masses minérales pourries, avec les deux yeux de quelque crapaud immobile dans un angle de pierres. (...) »

 

 

(p67)

 

« (…) Quel acte humain, ici, avait un sens ? Quelle volonté conservait sa force ? Tout se ramifiait, s’amollissait, s’efforçait de s’accorder à ce monde ignoble et attirant à la fois comme le regard des idiots, et qui attaquait les nerfs avec la même puissance abjecte que ces araignées suspendues entre les branches, dont il avait eu tant de peine à détourner les yeux. »

 

 

 

 

 

II

 

 

(p71)

 

« LA forêt s’était refermée sur cet espoir abandonné. Depuis des jours, la caravane n’avait rencontré que des ruines sans importance ; vivante et morte comme le lit d’un fleuve, la Voie Royale ne menait plus qu’aux vestiges que laissent derrière elles, tels des ossements, les migrations et les armées. »

 

 

(p83)

 

  « Il s’efforçait d’appeler à son aide son intelligence diluée dans cette forêt… Il ne s’agissait plus de vivre avec intelligence, mais de vivre. (...) »

 

 

 

 

 

III

 

 

(p89)

 

  « De toute évidence, Svay obéissait à des ordres… Combattre un ennemi connu n’était pas pour déplaire à Claude ; dans un conflit précis, il retrouvait son acharnement. »

 

 

(p90)

 

  « Il trouva en s’éveillant au lever du soleil une des joies les plus complètes qu’il eût connues. L’acharnement qui depuis des mois le poussait furieusement vers une action si incertaine était justifié. » (...)

 

 

(p96)

 

« (…)

 

  – Intelligent ?

 

  Perken se mit à rire mais s’arrêta aussitôt comme si le son de son rire l’eût surpris.

 

  – Quand on le connaît, la question est comique, et pourtant… Il n’a jamais réfléchi qu’à lui-même, qu’à ce qui l’isole plutôt, mais comme d’autres pensent au jeu ou au pouvoir… Ce n’est pas quelqu’un, mais c’est sûrement quelque chose. A cause du courage, il est beaucoup plus séparé du monde que vous ou moi parce qu’il n’a pas d’espoir, même informe, et que le goût de l’esprit, aussi affaibli qu’il soit, relie à l’univers. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source livre : Grasset, Le LIVRE de POCHE, 86.

 

 

 

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