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Bernard de Montréal; Carlos Castaneda; Cours en Miracles; Eric Baret, Darpan... Auteurs divers...

Le feu du dedans, C. Castaneda, extraits.

Publié le 17 Juin 2019 in Castaneda

 

Prologue.

 

 

 

(p10)

 

« La structure des instructions de don Juan était fondée sur le principe que l’homme possède deux types de conscience. Il désignait ces deux types par les expressions de “ côté droit ” et “ côté gauche ”. Il décrivait le premier comme étant l’état de conscience normal, nécessaire à la vie quotidienne. Le second, disait-il, était la part mystérieuse de l’homme, l’état de conscience nécessaire pour assumer les fonctions de sorcier et de voyant. Don Juan répartissait par conséquent son instruction en enseignements relatifs au côté droit et en enseignements relatifs au côté gauche. »

(...)

 

« Don Juan m’avait déjà expliqué, dans ses enseignements relatifs au côté droit, beaucoup de choses concernant le nagual et l’acte de voir. J’avais compris que voir signifiait la capacité de certains êtres humains à élargir le champ de leur perception jusqu’à être en mesure d’évaluer non seulement les apparences extérieures mais aussi l’essence de toute chose. »

(…)

 

« Je ne pouvais cesser de m’émerveiller, chaque fois que j’accédais à la conscience accrue, de la différence existant entre mes deux côtés. J’avais toujours l’impression qu’un voile avait été levé de devant mes yeux ; c’était comme si j’avais été à demi aveugle auparavant et que maintenant je pouvais voir. » (...)

 

« Cet ouvrage traite de la maîtrise de la conscience, qui est une partie de l’ensemble des enseignements de don Juan relatifs au côté gauche, ensemble qu’il a mis en œuvre pour me préparer à accomplir l’acte prodigieux du saut dans un gouffre.

Les expériences que je raconte ici s’étant déroulées dans un état de conscience accrue, elles ne peuvent participer de la même trame que celle de la vie quotidienne. Elles manquent de contexte terrestre, bien que j’aie fait de mon mieux pour combler cette lacune sans pour autant romancer. »

 

 

 

 

 

1. Les nouveaux voyants

 

 

(p19)

 

« “ Les voyants toltèques étaient des hommes hors du commun – de puissants sorciers, des hommes sombres, énergiques, qui élucidaient les mystères et possédaient une connaissance secrète dont ils se servaient pour influencer les gens et les transformer en victimes, en fixant leur conscience sur n’importe quel objet de leur choix. ”

 

Il cessa de parler et me regarda avec intensité. Je sentis qu’il attendait une question de ma part mais je ne savais quoi lui demander. “ Je dois insister sur un fait important, poursuivit-il, le fait que ces sorciers savaient comment fixer la conscience de leurs victimes. Tu ne l’as pas relevé quand j’y ai fait allusion. Cela ne t’a rien dit. Ce n’est pas étonnant. Que la conscience puisse être manipulée est une des choses les plus difficiles à reconnaître. ” »

 

(…)

 

 

 

 

 

2. Les petits tyrans.

(p32)

 

« (…) “ J’étais en train de provoquer ta suffisance, dit-il d’un air désapprobateur. La suffisance est notre plus grand ennemi. Penses-y, ce qui nous affaiblit, c’est de nous sentir offensés par les actes et les méfaits de nos semblables. Notre suffisance nous contraint à passer la plus grande partie de notre vie à être offensé par quelqu’un. “ Les nouveaux voyants recommandaient que tout soit mis en œuvre pour extirper la suffisance de la vie des guerriers. J’ai suivi cette recommandation et, dans ton cas, beaucoup de mes efforts visaient à te montrer que, sans la suffisance, nous sommes invulnérables. ” »

 

 

(p35)

 

« (…) ’“ La suffisance ne peut être combattue par de la délicatesse ”, commenta don Juan lorsque j’exprimai mon souci au sujet de la Gorda, Puis il demanda à tout le monde de quitter la pièce. Nous nous assîmes et don Juan commença ses explications. Il déclara que les voyants, les anciens comme les nouveaux, se répartissent en deux catégories,

 

La première compte ceux qui sont prêts à se dominer et peuvent canaliser leurs activités vers des objectifs pragmatiques, susceptibles de bénéficier à d’autres voyants et à l’homme en général,

 

La seconde est formée de ceux qui ne s’intéressent ni à la maîtrise de soi, ni à aucun objectif pragmatique. Les voyants sont unanimes à considérer que ces derniers n’ont pas su résoudre le problème de la suffisance.

 

La suffisance n’est pas une chose simple et naïve, expliqua-t-il. Elle se trouve à la fois au cœur de tout ce qui est bon et au cœur de tout ce qui est mauvais en nous. Pour se débarrasser de la mauvaise suffisance, il faut une stratégie magistrale. Tout au long des âges les voyants ont réservé leurs plus hautes louanges à ceux qui y avaient réussi. ” »

 

(…)

 

« “ Je t’ai répété plusieurs fois que pour suivre la voie de la connaissance il fallait faire preuve de beaucoup d’imagination, dit-il. Sur cette voie, comprends-tu, rien n’est aussi clair que nous le souhaiterions. ” Mon malaise me poussa à tirer argument de ses admonitions à propos de la suffisance pour lui dire qu’elles me rappelaient des préceptes catholiques. Après avoir entendu parler toute ma vie des maux du péché, j’y étais devenu insensible.

 

Le combat des guerriers contre la suffisance est une affaire de stratégie, pas de principe, répondit-il. Ton erreur est de comprendre ce que je dis en termes de morale.

 

Je vous considère comme un homme hautement moral, don Juan, insistai-je.

 

Tu t’es aperçu de mon impeccabilité, voilà tout, dit-il.

 

L’impeccabilité, comme le fait de se débarrasser de la suffisance, est un concept trop vague pour représenter quelque valeur à mes yeux ”, remarquai-je.

 

Don Juan s’étrangla de rire et je le mis au défi de m’expliquer ce qu’était l’impeccabilité.“

 

L’impeccabilité, dit-il, n’est rien d’autre que le bon usage de l’énergie. Mes exposés ne comportent pas le moindre soupçon de morale. J’ai épargné de l’énergie et cela me rend impeccable. Pour comprendre cela, tu dois toi-même épargner assez d’énergie. ” »

 

 

(p49)

 

(…)

 

« Lorsque les hommes de connaissance apprennent à voir, ils ont franchi la quatrième étape et sont devenus des voyants. »

 

(...)

 

« Don Juan m’expliqua que l’erreur des hommes moyens qui affrontent des petits tyrans est de ne pas avoir le recours d’une stratégie ; le handicap fatal vient de ce que les hommes moyens se prennent trop au sérieux. Leurs actes et leurs sentiments, comme ceux des petits tyrans, sont pour eux de la plus haute importance. Les guerriers, quant à eux, ne bénéficient pas seulement d’une stratégie bien conçue, mais sont libérés de la suffisance. Ce qui met un frein à leur suffisance est d’avoir compris que la réalité est une interprétation que nous élaborons nous-même. »

 

 

(p56)

 

« (…)

 

 “ Mon benefactor m’avait expliqué une chose très intéressante. L’endurance consiste à retenir, grâce au courage, une chose dont le guerrier sait qu’elle doit légitimement arriver. Cela ne signifie pas que le guerrier passe son temps à mijoter une mauvaise action contre qui que ce soit ni à projeter des règlements de compte. L’endurance n’a rien à voir avec cela. Tant que le guerrier dispose du contrôle de la discipline et du sens du minutage l’endurance garantit que ce qui est dû, quelle qu’en soit la nature, sera donné à celui qui le mérite, quel qu’il soit. »

 

(...)

 

« “ Les nouveaux voyants se servaient des petits tyrans, dit don Juan, en me fixant avec insistance, non seulement pour se défaire de leur suffisance, mais pour réaliser la manœuvre très subtile qui consistait à se retirer de ce monde. Tu comprendras cette manœuvre à mesure que nous poursuivrons notre conversation sur la maîtrise de la conscience. ” »

 

 

(p58)

 

« – À quoi mesurez-vous la défaite ?

 

Quiconque se met sur le même plan que le petit tyran est vaincu. Agir en colère, sans contrôle ni discipline, n’avoir pas d’endurance, c’est être vaincu. »

 

 

 

 

 

3. Les émanations de l’aigle

 

 

 

(p61)

 

« Il déclara qu’il existait une série de vérités relatives à la conscience, découvertes par les voyants, les anciens et les nouveaux, et que ces vérités avaient été disposées en un ordre spécifique pour les besoins de la compréhension.

 

La maîtrise de la conscience, m’expliqua-t-il, consistait à intérioriser l’ordre complet de ces vérités. La première vérité, dit-il, était que notre familiarité avec le monde que nous percevons nous force à croire que nous sommes entourés par des objets qui existent par eux-mêmes et en tant qu’eux-mêmes, exactement tels que nous les percevons, alors qu’en réalité il n’existe pas un monde d’objets mais un univers des émanations de l’Aigle. »

 

 

(p65)

 

«(…)

 

Que s’est-il passé après que l’on eut fait la distinction entre l’inconnu et l’inconnaissable ?

 

Le nouveau cycle a commencé, répondit-il. Cette distinction constitue la frontière entre l’ancien et le nouveau. Tout ce que les nouveaux voyants ont accompli provient de la perception de cette distinction. ”

 

Don Juan me dit que l’élément crucial, dans la destruction du monde des anciens voyants comme dans la reconstruction de la perspective nouvelle, résidait dans l’art de voir. Ce fut en exerçant l’acte de voir que les nouveaux voyants découvrirent certains faits irréfutables qui leur servirent à aboutir à des conclusions, révolutionnaires à leurs yeux, sur la nature de l’homme et du monde. Ces conclusions, qui fondèrent l’existence du nouveau cycle, étaient les vérités relatives à la conscience que don Juan était en train de m’expliquer. »

 

(...)

 

« Il se plongea un moment dans ses pensées comme s’il essayait de choisir ses mots. Puis il sourit. “ Comme je te l’ai dit, commença-t-il, la première vérité relative à la conscience est que le monde extérieur n’est pas, en réalité, ce que nous croyons. Nous pensons que c’est un monde d’objets et c’est faux. ”

 

Il fit une pause comme pour mesurer l’effet de ses paroles. Je lui dis que j’étais d’accord avec ses prémisses parce que l’on pouvait tout réduire à un champ d’énergie. Il me dit que j’avais seulement l’intuition d’une vérité et que l’exprimer rationnellement n’était pas la vérifier. Mon accord ou mon désaccord ne l’intéressaient pas, ce qui l’intéressait, en revanche, c’était que je tente de comprendre ce qu’impliquait cette vérité. “ Tu ne peux pas percevoir de champs d’énergie, poursuivit-il. Pas en tant qu’homme ordinaire, j’entends. Car si tu pouvais les voir, tu serais un voyant et dans ce cas c’est toi qui serais en train d’expliquer les vérités relatives à la conscience. Comprends-tu ce que je veux dire ? ” » (...)

 

 

« “ La première vérité est que le monde est ce qu’il paraît, et pourtant ne l’est pas. Il n’est pas aussi solide ni réel que notre perception a été amenée à le croire, mais il n’est pas non plus un mirage. Le monde n’est pas une illusion, comme on l’a dit ; il est réel, et il est irréel. Sois très attentif à cela, car il ne faut pas seulement que tu l’acceptes, il faut que tu le comprennes. Nous percevons. Cela est un fait d’évidence. Mais ce que nous percevons n’est pas un fait du même ordre car on nous enseigne ce qu’il faut percevoir. »

 

 

(p70)

 

« “ Un nagual est une personne assez souple pour pouvoir incarner n’importe quoi, m’avait-il dit. Entre autres choses, être un nagual implique que l’on n’ait aucun point de vue à défendre. Souviens-toi de cela – nous y reviendrons sans cesse. ” »

 

 

(p80)

 

« – Les émanations ressemblent-elles à des rayons de lumière ? Demandai-je.

 

Non. Pas du tout. Ce serait trop simple. Elles sont indescriptibles. Je dirais cependant, à titre personnel, qu’elles ressemblent à des filaments de lumière. Ce qui est incompréhensible pour la conscience normale, c’est que ces filaments sont conscients. Je ne peux te dire ce que cela signifie parce que je ne sais pas bien ce que je raconte. Tout ce que je peux te dire, par mes commentaires personnels, c’est que ces filaments sont conscients d’eux- mêmes, vivants et vibrants, qu’il en existe tellement que les chiffres n’ont pas de sens et que chacun d’entre eux est en lui-même une éternité. ”

 

 

 

 

 

 

4. La lueur de la conscience

 

 

 

(p82)

 

« “ Les nouveaux voyants, m’expliqua don Juan, avaient découvert que la période de transition est le moment où se produit l’apprentissage le plus profond et que c’est également le moment où l’on doit surveiller les guerriers et leur fournir des explications afin qu’ils puissent les évaluer correctement. »

 

 

(p84)

 

«(…)

 

 “ C’est le devoir d’un nagual que de toujours chercher de meilleures méthodes d’explication, répondit-il. Le temps modifie tout et chaque nouveau nagual doit assimiler de nouveaux mots, de nouvelles idées pour décrire son voir.

 

Cela signifie-t-il qu’un nagual prend des idées dans l’univers de la vie quotidienne ? Demandai-je.

 

Non. Cela signifie qu’un nagual parle de voir par des moyens toujours nouveaux, dit-il. Par exemple, si tu étais le nouveau nagual, tu devrais dire que la conscience engendre la perception. Tu dirais en cela la même chose que mon benefactor, mais d’une autre façon. »

 

 

(p89)

 

« (…)

 

L’explication vient, dit-il. C’est un lent processus, mais nous y arriverons. Il est lent parce que je suis exactement comme toi : j’aime comprendre. Je suis le contraire de mon benefactor, qui n’était pas enclin à expliquer. Pour lui, seule l’action existait. Il nous mettait carrément aux prises avec des problèmes incompréhensibles et nous laissait les résoudre tout seul. Certains d’entre nous ne résolurent jamais rien vraiment, et nous nous trouvâmes, à la fin, embarqués à peu près dans la même galère que les anciens voyants : rien que de l’action, et pas de vraie connaissance. » (…)

 

 

(p92)

 

«  Des dangers indicibles guettent sur le chemin de la connaissance ceux qui sont dépourvus d’une intelligence modérée, poursuivit-il. Je suis en train d’exposer, dans les grandes lignes, l’ordre selon lequel les nouveaux voyants avaient disposé les vérités relatives à la conscience, pour qu’il te serve de plan, un plan que tu dois corroborer par ton voir, mais pas par tes yeux. ” »

 

 

 

 

 

 

5. La première attention

 

 

 

(p109)

 

« (…)

 

« On accède à la tierce attention quand la lueur de la conscience devient le feu intérieur : une lueur qui allume non plus une bande après l’autre, mais toutes les émanations de l’Aigle qui se trouvent à l’intérieur du cocon de l’homme. >>

Don Juan exprima le respect que lui inspirait l’effort délibéré des nouveaux voyants pour accéder à la tierce attention pendant qu’ils sont vivants et conscients de leur individualité. (...) »

 

 

(p113)

 

«()

 

À les regarder rire, j’eus la conviction que seuls des Indiens pouvaient rire avec une telle jovialité. Mais j’acquis également la certitude qu’il y avait en eux des tonnes de malice. Ils tournaient en ridicule un non-Indien. Don Juan perçut immédiatement ce que je ressentais. “ Ne laisse pas ta suffisance sévir, dit-il. Tu ne te distingues en rien. Aucun de nous ne se distingue en rien, qu’il soit Indien ou non-Indien. »

 

 

 

 

 

7. Le point d’assemblage

 

 

 

(p172)

 

« Don Juan me dit qu’une des tâches qu’avaient conçues les nouveaux voyants pour leurs élèves consistait à les forcer à se souvenir, c’est-à-dire à remettre en valeur par eux-mêmes, plus tard, les émanations utilisées dans des états de conscience accrue.

 

Il me rappela que Genaro me recommandait sans cesse d’apprendre à écrire du bout du doigt plutôt qu’avec un crayon, pour ne pas amonceler de notes. Ce que Genaro entendait en réalité par là, me dit don Juan, c’est que je devrais, pendant que je me trouvais dans des états de conscience accrue, me servir de certaines émanations inutilisées pour mettre en réserve le dialogue et l’expérience que je vivais, et me rappeler le tout un jour .en remettant en valeur les émanations que j’aurais utilisées. »

 

 

(p174)

 

« – Je t’ai expliqué que les nouveaux voyants aspirent à être libres. Et la liberté comporte des conséquences écrasantes. Elle implique, entre autres, que le guerrier doit délibérément rechercher le changement. Tu préfères vivre comme tu le fais. Tu stimules ta raison en parcourant ton inventaire et en le comparant à celui de tes amis. Ces manœuvres te laissent très peu de temps pour t’examiner toi-même et examiner ton destin. Tu devras renoncer à tout cela. De même, si tu ne connaissais que le calme plat de cette ville, tu devrais rechercher, tôt ou tard, l’inverse.

 

Est-ce ce que vous faites ici, don Juan ?

 

Notre cas est un peu différent parce que nous sommes au bout de notre chemin. Nous ne cherchons rien. Ce que nous faisons tous ici n’est compréhensible que pour un guerrier. Nous allons d’un jour à l’autre sans rien faire. Nous attendons. Je ne me lasserai pas de répéter ceci : nous savons que nous attendons et nous savons ce que nous attendons. Nous attendons la liberté ! »

 

 

 

 

 

 

8. La position du point d’assemblage.

 

 

 

(p197)

 

« “ C’est là une des découvertes les plus extraordinaires des nouveaux voyants : le fait que notre commandement puisse devenir le commandement de l’Aigle. Le dialogue intérieur s’interrompt comme il commence : par un acte de volonté. Après tout, ce sont ceux qui nous enseignent qui nous forcent à nous parler à nous-mêmes. En nous enseignant, ils engagent leur vouloir et nous engageons le nôtre, sans le savoir ni l’un ni l’autre. En apprenant à nous parler. à nous-mêmes, nous apprenons à manier le vouloir. Nous nous imposons par le vouloir de nous parler à nous-mêmes. Pour cesser de nous parler à nous-mêmes, il faut employer la même méthode exactement : nous devons le vouloir, nous devons en avoir l’intention. ” »

 

 

(p205)

 

(…)

 

« Il me dit encore que tous les voyants souffrent périodiquement d’un déplacement involontaire vers le bas, mais que ce genre de déplacement devient de moins en moins fréquent à mesure que leur point d’assemblage poursuit ses déplacements vers la gauche. Cependant, chaque fois qu’il survient, le pouvoir du voyant qui le subit diminue considérablement. C’est un inconvénient qu’il faut du temps, et un grand effort, pour neutraliser. “ Ces défaillances, dit-il, rendent les voyants très maussades et bornés, et, dans certains cas, très rationnels.

 

Comment les voyants peuvent-ils éviter ces déplacements vers le bas ? demandai-je.

 

Tout dépend du guerrier, dit-il. Certains sont naturellement portés à se livrer à leurs excentricités – toi, par exemple. Ce sont eux qui sont durement touchés. Pour ceux qui te ressemblent, je recommande une veille de vingt-quatre heures qu’ils doivent exercer à l’égard de tout ce qu’ils font. Les hommes et les femmes disciplinés sont moins enclins à ce genre de déplacement; pour ceux-ci je recommanderais une veille de vingt-trois heures. ”

 

Il me regarda, les yeux brillants et se mit à rire.

 

Les voyantes subissent plus de déplacements vers le bas que les voyants. Mais elles sont capables de sortir en trombe de cette position sans aucun effort alors que les hommes s’y attardent dangereusement. ” (...) »

 

 

 

 

 

10. Grandes bandes d’émanations.

 

 

 

(p239)

 

«(…)

 

Je lui dis que je ne saisissais pas très bien son explication sur les grandes bandes, parce que j’avais été forcé, par sa description, à les imaginer comme des gerbes indépendantes de cordes, ou même comme des bandes plates pareilles à des courroies de transport.

 

Il m’expliqua que les grandes bandes ne sont ni plates ni cylindriques mais groupées d’une façon impossible à décrire, comme un tas de foin qui garde sa cohésion entre ciel et terre par la force du geste qui l’a lancé à la fourche. Ainsi, il n’y a pas un ordre des émanations ; dire qu’il existe une partie centrale ou qu’il existe des bords est trompeur, mais nécessaire à la compréhension.

 

Poursuivant, il m’expliqua que les êtres non organiques, engendrés par les sept autres bandes de conscience, se caractérisent par un contenant dépourvu de mouvement; il s’agit.plutôt d’un réceptacle informe, avec un degré très bas de luminosité. Il ne ressemble pas au cocon des êtres organiques. Il lui manque cette tension, ce gonflement qui fait ressembler les êtres organiques à des boules regorgeant d’énergie. »

 

 

 

 

 

 

 

12. Le nagual Julian.

 

 

 

(p271)

 

« Don Juan commença son explication en disant que' la difficulté à se souvenir de ce qui se passe en état de conscience accrue est due à l’infinité des positions que peut adopter le point d’assemblage après avoir été détaché de son emplacement ordinaire. En revanche, la facilité à se souvenir de tout ce qui se passe en état de conscience normale est en rapport avec la fixation du point d’assemblage en un seul endroit, l’endroit où il se trouve placé d’ordinaire. »

 

 

(p283)

 

« (…)

 

« Voilà la méthode du traqueur, poursuivit don Juan. Elle n’engendre pas la compréhension mais la prise de conscience totale. Il m’a, par exemple, fallu une éternité pour comprendre ce qu’il avait fait de moi en me confrontant à l’allié, bien que j’aie tout compris sans explication pendant que je vivais cette expérience. »

 

 

(p291)

 

« (…)

 

« Mon grand défaut, à cette époque, était de ne pas pouvoir comprendre ce principe. J’étais sans expérience. Je vivais par le biais de ma suffisance, comme tu le fais, parce que c’était là que se situait mon point d’assemblage. Vois-tu, je n’avais pas encore appris que, pour déplacer ce point, il faut instaurer de nouvelles habitudes, vouloir qu’il se déplace. Quand il s’est déplacé effectivement, ce fut comme si je venais de découvrir que moyen de traiter avec des guerriers hors de pair comme mon benefactor consiste à être dépourvu de suffisance, de façon à pouvoir les célébrer impartialement. »

 

 

 

 

 

 

 

13. L’impulsion de la terre.

 

 

 

(p299)

 

« Il m’expliqua que ce qu’il appelait la clé universelle consistait à savoir, de première main, que la terre est un être sensible et peut, en tant que telle, donner aux guerriers un élan extraordinaire ; c’est une impulsion qui vient de la conscience même de la terre, à l’instant où les émanations intérieures au cocon des guerriers s’alignent avec les émanations intérieures au cocon de la terre qui leur sont appropriées. La terre et l’homme étant des êtres sensibles, leurs émanations coïncident, ou, plus exactement, la terre contient toutes les émanations présentes chez l’homme et toutes les émanations présentes chez tous les êtres sensibles, organiques aussi bien que non organiques. »

 

 

(p309)

 

« – Qu’entendez-vous, don Juan, en parlant de la seule porte qui existe ?

 

Je veux dire que lorsque le point d’assemblage de l’homme franchit, en se déplaçant, une limite cruciale, les conséquences en sont toujours les mêmes pour tout le monde. Les techniques utilisées pour le déplacer peuvent être aussi diverses que possible, mais les conséquences sont toujours les mêmes, à savoir que le point d’assemblage assemble d’autres mondes, aidé par l’impulsion de la terre.

 

L’impulsion de la terre est-elle la même pour tout le monde, don Juan ?

 

Bien sûr. Le problème qui se pose à l’homme ordinaire est celui du dialogue intérieur. On ne peut se servir de cette impulsion que lorsqu’on est parvenu à un état de silence total. Tu trouveras la confirmation de cette vérité le jour où tu tenteras dé te servir toi-même, seul, de cette impulsion.

 

Je ne te recommanderais pas d’essayer, me dit Genaro avec sincérité. Il faut des années pour devenir un guerrier impeccable. Pour résister à l’impact de l’impulsion de la terre, il te faut être meilleur que tu ne l’es aujourd’hui.

 

La rapidité de cette impulsion dissoudra tout ce qui est en toi, dit don Juan. Son impact nous réduit à néant. La vitesse et le sens de l’existence individuelle ne vont pas ensemble. »

 

(...)

 

« « Nous, les êtres humains, nous sommes des individus qui perçoivent, dit-il. Et nous percevons parce que certaines émanations intérieures au . cocon de l’homme s’alignent avec certaines émanations extérieures. L’alignement constitue donc le passage secret et l’impulsion de la terre est la clé. »

 

 

 

(p313)

 

« Il me dit que la modération nécessaire pour permettre au point d’assemblage d’assembler d’autres mondes ne peut pas s’improviser. La modération doit être mûre et devenir une force en soi avant que les guerriers puissent franchir la barrière de la perception impunément. »

 

 

 

 

 

 

14. La force roulante.

 

 

 

« Il répéta, comme s’il voulait me le faire entrer en tête à la foreuse, que l’alignement est une force unique parce qu’elle peut soit aider le point d’assemblage à se déplacer, soit le maintenir fixé à sa position ordinaire. Il dit que l’aspect de l’alignement qui maintient le point immobile est le vouloir; et l’aspect qui provoque son déplacement est l’intention. Comme le vouloir, la force d’alignement impersonnelle, se transforme en intention, la force personnalisée qui est au service de chaque individu, c’est, observa-t-il, un des mystères les plus obsédants qui soient.

 

« Le plus étrange, dans ce mystère, c’est que la transformation soit si facile à accomplir, poursuivit-il. Mais ce qui est moins facile, c’est de nous convaincre nous-mêmes qu’elle est possible. C’est cela, cela même, qui constitue notre cran de sécurité. Nous devons être convaincus. Et personne de nous ne veut l’être. » »

 

 

(p322)

 

«  Qu’est-ce au juste que le culbuteur ? Demandai-je.

 

C’est une force qui provient des émanations de l’Aigle, me dit-il. Une force perpétuelle qui nous frappe à chaque instant de notre vie. Elle est fatale lorsqu’on la voit, mais autrement nous n’en sommes pas conscients, parce que nous avons des écrans protecteurs. Nous avons des centres d’intérêts dévorants qui occupent toute notre conscience. Nous sommes constamment préoccupés par notre situation sociale, par nos biens. Ces écrans n’éloignent cependant pas le culbuteur, ils nous empêchent seulement de le voir directement, nous protégeant ainsi du choc qu’engendre la frayeur de voir les boules de feu nous frapper. Les écrans représentent pour nous un grand secours et une grande entrave. Ils nous apaisent en même temps qu’ils mystifient. Ils nous donnent un sentiment fallacieux de sécurité. »

 

 

(p332)

 

«(…)

 

 « Les nouveaux voyants ont transformé tout cela en découvrant qu’il est impossible d’aspirer à l’immortalité tant que l’homme est pourvu d’un cocon.

 

Don Juan m’expliqua que les anciens voyants n’ont apparemment jamais compris que le cocon humain est un récipient et ne peut soutenir indéfiniment l’assaut de la force roulante. Malgré toute la connaissance qu’ils avaient accumulée, ils n’étaient au bout du compte pas mieux, et peut-être l’étaient-ils plus mal, lotis que l’homme ordinaire.

 

« En quoi étaient-ils plus mal lotis que l’homme ordinaire ? Demandai-je.

 

Leur fabuleuse connaissance leur imposait la certitude que leurs choix étaient infaillibles, dit-il. Ils choisirent donc de vivre coûte que coûte. »

 

Don Juan me regarda et sourit. Par sa pause théâtrale, il me communiquait quelque chose que je ne réussissais pas à deviner.

 

« Ils choisirent de vivre, répéta-t-il. Tout comme ils choisirent de devenir des arbres pour assembler des mondes avec celles des grandes bandes qui sont pratiquement hors d’atteinte. »

 

(...)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source livre :

http://sannyasa.free.fr/castaneda.htm#Cas0

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